Etre sans Avoir

, par Matthieu Marcillaud

Le sourire, seule chance de survie.

Le tumulte de l’eau le fit reculer ; ce bouillonnement multiforme aux allures de volcan glacé dévalait le torrent sur un rythme effréné ; de tels remous ne peuvent se traverser. Il gravit alors avec une agilité de félin la rude côte s’enfuyant à la source de ces flots. Il courrait endiablé, choqué par les battements incessants des cailloux avalés par le gave qui lui perçaient les tympans. Parfois il chutait, mais détalait aussitôt dans une conviction inébranlable. Le froid gerçant des eaux séditieuses ne l’atteignait pas. Rien d’ailleurs ne l’arrêtait dans sa cavale. Entre deux escalades il vit un passage, s’appuya sur un rocher, bondit au-dessus du ruisseau et disparut.

 Quoi ?
 C’est pas possible !
 C’est à n’y rien y comprendre
 Non...
 C’est horrible !
 Ca s’est produit quand ?
 Combien sont morts ?
 Mon fils, où est mon fils ?
 Quel ravage.
 Mon Dieu, non !
 C’est impossible
 Vous avez vu ça ?
 Vous avez vu ça ?
 Vous avez vu ça ?

Amilda ajustait son bouquet sur la table ovale en verre opalin. La dentelle du napperon recevait l’ombre des trois nouvelles roses aux parfums et couleurs irisées qui s’amusaient aux côtés de cinq marguerites ocres et citronnées et de dix-sept tulipes magenta aux délicates senteurs de miel. Elle tira le rideau de soie orientale pour cacher la lumière pénétrant du quartier des Halles, que le soleil couchant rendait si agréable, donnant aux pierres apparentes des maisons bourgeoises de délicieux reflets or ou pourpre. Elle esquiva le tapis brodé qui devançait sa bibliothèque préférant glisser sur le parquet lustré en chêne que l’architecte avait importé du Canada. Elle s’endormit aussitôt, simplement allongée sur la couette du futon, sous le regard envieux de son persan qui la rejoignit discrètement.

 On aurait dit une boule de neige
 C’était comme une flamme géante
 Un marteau... Oui, qui cassait tout
 Ça ressemblait à une tornade
 Un cataclysme
 Un bulldozer... qui volait
 Une nuée d’oiseaux aux becs aiguisés
 Des millions de scarabées
 J’avais de la famille
 Des sorcières je vous dis
 Des épées qui tournoyaient
 C’est monstrueux
 C’est impossible

Quand l’art entre dans les coeurs, l’idéal se dessine.

Il trainait sa charrette depuis la lisière du bois ; il amenait quelques troncs pour le feu du soir. Ses mains avaient triplées, son cœur et son esprit aussi. Il avait dû renoncer à tout : aux films distrayants du samedi soir, à la fureur frénétique des boîtes de nuits, aux informations superficielles du vingt heures, à la météo du lendemain qui suivait, à l’ordinateur neuf de bureau déjà démodé, au téléphone mobile qui le rendait joignable, à l’appareil photo qui saisissait des instants de vie, à son 4x4 noir avec filtre à particules, à son congélateur, à son lave-linge, son sèche-linge, lave-vaisselle, sèche-cheveux, son grille-pain, à son four micro-ondes, à sa chaîne-hifi et aux cinquante DVD qu’il possédait, aux sept cent ouvrages littéraires qu’il n’avait jamais sorti de sa bibliothèque, à son futon en frêne du Japon.

Il s’était intégré au village par un simple sourire. Lui aussi voulait partager ; partager ses connaissances, les ressources de la Terre, la nourriture, les amis. Il rêvait de relations véritables entre les hommes ; il les a trouvées ici, au pays de ceux qui acceptent la simplicité, aux pays de ceux qui refusent d’être dominés et asservis par les objets, aux pays de ceux qui avaient avertis que la Terre se fâcherait.

En se mariant avec la nature, il comprit sa profonde douleur, la douleur de Gaïa qui se meure, la douleur de la mère pillée, la douleur des hommes qui s’aveuglent et se rendent esclave de l’avoir, sans se soucier de l’être, une douleur que l’argent a créée.

P.-S.

Marcimat,
22 janvier 2005,
Avec une fin précipitée,
Angoulême.