Survivre au développement de Serge Latouche

, par Matthieu Marcillaud

De la décolonisation de l’imaginaire économique à la construction d’une société alternative

C’est un tout petit livre qui détruit les concepts de développement et de croissance économique. Une sorte de petite synthèse pour rappeler tous les méfaits du développement, qu’il soit social, humain, local, durable ou alternatif.

Car pour que cette grosse machine productiviste fonctionne, il faut sans cesse se développer, croître, avoir des nouveaux besoins. Serge Latouche cite Galbraith : « Ce qu’on appelle développement économique consiste largement à imaginer une stratégie qui permette de vaincre la tendance des hommes à imposer des limites à leurs objectifs de revenus, et donc à leurs efforts. » et Vandana Shiva : « Sous le masque de la croissance se dissimule, en fait, la création de pénurie. »

Pour éviter les effets néfastes de l’économicisation des individus et de la société, Serge Latouche propose de décoloniser notre imaginaire envahi par l’idéologie de la croissance et du profit (c’est à dire la croyance que plus égale mieux) et explique deux alternatives au développement : la décroissance conviviale et le localisme.

Il s’agit tout d’abord de se libérer de la foi de la techno-science qui trouvera toujours le moyen de pallier aux nouveaux problèmes créés par l’homme. Il cite ainsi Mauro Bonaiuti : "serait-il raisonnable de construire des « gratte-ciel sans escaliers ni ascenseurs sur la base de la seule espérance qu’un jours nous triompherons de la loi de la gravité » ? C’est pourtant ce que nous faisons avec le nucléaire, accumulant des déchets potentiellement dangereux pour les siècles à venir sans solution en perspective." et Nicholas Georgescu-Roegen : « Nous ne pouvons produire des réfrigérateurs, des automobiles ou des avions à réaction "meilleurs et plus grands" sans produire aussi des déchets "meilleurs et plus grands". »

Rappelant les propos d’Edouard Goldsmith : « C’est parce que la société vernaculaire a adapté son mode de vie à son environnement qu’elle est durable, et parce que la société industrielle s’est au contraire efforcée d’adapter son environnement à son mode de vie qu’elle ne peut espérer survivre. », Serge Latouche invite à « redécouvrir la vraie richesse dans l’épanouissement de relations sociales et conviviales à l’intérieur d’un monde sain [qui] peut se réaliser avec sérénité en pratiquant la frugalité, la sobriété voire une certaine austérité dans la consommation matérielle, bref, ce que certains ont préconisé sous le slogan gandhien ou tolstoïen de "simplicité volontaire". »

Ainsi, la convivialité s’attache à promouvoir les "biens relationnels". Ainsi, on remarquera comme l’écrit Hervé René Martin qu’ « Une personne heureuse ne consomme pas d’antidépresseurs, ne consulte pas de psychiatres, ne tente pas de se suicider, ne casse pas les vitrines des grands magasins, n’achète pas à longueur de journées des objets aussi coûteux qu’inutiles, bref, ne participe que très faiblement à l’activité économique de la société. »

Synthétiser une société de décroissance pourrait se définir par un cercle vertueux en 6 R proposés par Osvaldo Pieroni :
 Réévaluer : revoir les valeurs auxquelles nous croyons et sur lesquelles nous organisons notre vie ; changer celles qui doivent l’être.
 Restructurer : adapter l’appareil de production et les rapports sociaux en fonction du changement de valeur.
 Redistribuer : concerne la répartition de richesses et l’accès au patrimoine naturel.
 Réduire : diminuer l’impact sur la biosphère de nos mode de produire et de consommer
 Réutiliser : au lieu de jeter les appareils et les biens d’usage.
 Recycler : les déchets incompressibles de notre société