Mûres réflexions !

, par Matthieu Marcillaud

Chère amie,

Je n’ai que deux pages pour vous raconter des choses, mais comme je ne sais que dire, cette circonstance devrait suffire !

Oh figurez-vous que je suis griffé de partout. J’ai entrepris dans l’après-midi de ramener de la nature un petit panier de mûres. Et vous l’avez deviné c’est sûr, ces dernières n’apprécient pas la confiture !
Les ronciers s’en sont donnés à cœur joie lorsque je kidnappais leurs fruits de mes doigts. En conséquence de cette aventure mes mains se plaignent de rayures et dans mes pieds se sont plantés de terribles épines dures.

Du coup je relis ce poème de Raymond Devos avec encore plus de persuasion « Je hais les haies ». Va vite le lire pour avoir une autre image de la situation.

Bien à toi,
Matthieu.

Deux jours plus tard...

Chère amie,

Les mûres m’en font voir de toutes les couleurs... Enfin, à bien y réfléchir, surtout en rouge, mauve et violet !

Vois-tu, la récolte d’avant-hier avait manifesté sa révolte par des griffures ; j’en ai encore les traces douloureuses dans mon cerveau... et sur mes bras.

La violence de la récolte d’hier a atteint des sommets ! Elles ont réussi à me brûler les mains lors de leur mise en jus.

Mais je pressens que le pire reste à venir. La récolte de ce matin m’inquiète au plus haut point. Elles manigancent, j’en suis sûr. Elles se sont toutes regroupées dans un seau et elles mijotent. Je préfèrerais qu’elles mijotent uniquement dans la casserole ! Mais non ! Elles s’organisent ! Elles préparent quelque chose ! Une rébellion peut-être !

Je le sais car lorsque je m’approche, je n’entends pas un bruit, même pas un chuchotement... C’est louche ! Je suis certain qu’elles me sentent arriver et se taisent. Je suis surveillé.

Je le sais car cela fait dix fois que je m’approche et qu’elles ne font aucun bruit... C’est louche ! Je te le dis... c’est louche !

Mais que préparent-elles ? Ce qui me fait peur, c’est leur nombre ! Elles sont plusieurs centaines, c’est plus qu’un régiment ! Brrr...

Mais que préparent-elles ? Moi, je suis sûr qu’elles savent qu’elles vont passer à la casserole, c’est sûr. C’est qu’une odeur comme ça, des mûres en ébullition, ça fait vite le tour d’un bois. Elles sont au parfum, c’est certain. Et là, dans ce seau, elles mettent leurs connaissances en ébullition pour préparer une punition ! C’est qu’elles en apprennent des choses à l’école buissonnière ! C’est que d’être cueillies à priori ne leur plait guère...

Elles pourraient... Oh !

Elles pourraient pour se venger une nouvelle fois me brûler... Il leur suffirait de dissimuler au fond de la casserole l’alcool dégagé de leur distillation et lorsqu’un volume suffisant serait cristallisé y mettre le feu. Résulterait une explosion vivace expulsant les mûres vers l’extérieur en m’attaquant comme des obus...
Brrr... D’être ébouillanté cela me glace le sang !

Moi qui voulait faire de la gelée, être gelé moi-même quel renversement ! « Le geleur gelé » « Le geôlier giflé » « Les mûres font le mur » titreraient les journaux. Quelle déconfiture !

Non, je les libère tout de suite...

Victorieuses, les mûres se sont sucrées de leur victoire. La guerre psychologique se disent-elles, c’est vraiment tout un art !

Marcimat,

22 août 2005,
A mon bureau,
Angoulême.