On sait jamais ?

, par Matthieu Marcillaud

« Surtout ferme bien à clef »
C’est ce qu’ils m’ont conseillé
« Et puis ferme les volets
Les soirs on ne sait jamais ! »

Les bagages dans une main
Ils s’en vont filer bon train
En vacances à Tartempioche
Une lacrymo dans la poche

« Tu sais faut être prudent
Les agressions c’est fréquent
On n’veut pas être braqué
En ville on ne sait jamais ! »

[Et j’ai même du leur relire
Avant de les voir partir
Leurs consignes écrites en gros
Sur la table du bureau]

[« Tu trouveras au téléphone
Les numéros des personnes
Des médecins à contacter
Une urgence on sait jamais ! »]

Me voilà enfin tout seul
J’vais pouvoir ouvrir ma gueule
Et les portes de cette maison
Qu’elle respire pour de bon

Car dans mon humanité
On n’ferme pas les portes à clef
Je préfère mieux partager
Les richesses on sait jamais !

Alors les meubles inutiles
Et cette vaisselle futile
Furent donc évacués
Un voleur ? Sait-on jamais !

Tout ce qui avait un coût
Fut dérobé sans dégoût
Faut dire que j’avais posé
« Servez-vous » sur les volets !

Les voisins bien intrigués
Vinrent discuter, rigoler
Et nous fîmes un banquet
Ce que nous n’faisions jamais !

Nous refîmes cent fois le monde
En l’espace de vingt secondes
Et cela porta ses fruits
Chacun ouvrit grand son nid

Ce fut tout notre quartier
Qui se fit dévaliser
Mais tout le monde s’amusait
Festoyons, on sait jamais !

Alors sans télévision
Les gens sortirent leurs chansons
Et on fut les plus heureux
A danser tous deux à deux !

Mais en plein milieu du bal
Un couple cria scandale
C’est mes parents qui rentraient
En furie, « oh ça jamais ! »

Et le pire fut venu
Lorsqu’ils virent la maison nue
Ils accusèrent les voisins
Pour le vol de leur butin

Mais comme les voisins aussi
S’étaient vu vider leur nid
Ils s’apaisèrent soudain
On est comme eux donc tout va bien !

Ils virent tous ces gens joyeux
Et oublièrent vite comme eux
Que pendant de longues années
Personne n’osait se parler

Et dans cette cacophonie
Où chaque soir était folie
Les amis par contagion
Envoûtèrent toute la région

C’était la fête partout
Si bien qu’tout l’monde y prit goût
On se plut à embrasser
Chaque passant que l’on croisait

Plus personne n’avait peur
Puisqu’on causait tous des heures
Et puis y a rien à voler
Sauf peut-être chez les banquiers

Dans cette générosité
Les maisons vides furent r’tapées
Et les habitats s’condaires
Furent offerts aux plus précaires

Comme tout l’monde était content
Sauf certains riches patants
On offrit aux sans-logis
Des terrains pour faire leur vie

Et comme les gens forts chafouins
Décidèrent de bosser moins
Ce fut toute l’économie
Qui fut réduite en charpie

Tous les grands supermarchés
Ne furent plus alimentés
Il fallu faire son jardin
En gaieté comme boute-en-train

Lors de l’école buissonnière
On planta haies nourricières
Et dans les jardins publics
Quelques vergers bucoliques

On refit des épiceries
Des agoras pleines de vie
Et on dissolut l’armée
Par prudence, on sait jamais !

[Alors en plus des maisons
On ouvrit toutes les clôtures
Sauf celles des ânes et moutons
’fin pas des bêtes en pâture.]

[Du coup on r’fit des sentiers
Plus directs entre communes
Et ils furent très fréquentés
Même par les douces nuits sans lune]

[Mais les hommes devenant vifs
Il y eut une première mannif
C’était l’ordre des pharmaciens :
Leurs produits s’vendaient plus bien !]

[Faut dire que tous les méd’cins
Dans un coin de leur jardin
F’saient pousser des herbes amies
Pour soigner les p’tits soucis]

Et comme les gens s’régalaient
Du peu qui les contentait
Toute la pub fut supprimée
Peur d’une rechute, on sait jamais !

[Du coup les rares déchets
Pouvaient tous se composter
Et ce fut le seul engrais
Qu’aux champs on pouvait donner]

[Ceci a eu pour écho
De pouvoir nettoyer l’eau
Et des sources on pu reboire
Comme jadis près des lavoirs]

Alors les petits villages
Renaissants de par les âges
Montrèrent à leurs citoyens
Qu’l’entraide est mieux qu’le dédain !

[Pour fêter cette victoire
Nombreuses furent les fêtes les soirs
Et l’élan de reconquête
Disposa l’homme à d’autres quêtes]

Enfin je m’arrête ici
Mais l’histoire n’est pas finie
Parlez-en autour de vous
Vous verrez je n’suis pas fou !

Car un rien peut arriver
Qui fera tout basculer
Confiez donc à vos enfants
Votre maison quelques temps !

Marcimat
Le 30 avril 2006,
A mon bureau,
Angoulême.

P.-S.

Accords

Chemin bas : AA,EA,DA,EA
Chemin haut : DD,GD,GD,EA