Espéranto, genre et sexisme

, par Matthieu Marcillaud

Un des points les plus génants actuellement j’ai l’impression pour l’esperanto (enfin c’est moins pire que le français) est sa non distinction pour certains mots entre le neutre (enfin d’un sexe indéterminé) et le masculin, alors que passer un mot au féminin se fait par l’usage d’un suffixe. Du coup, beaucoup de personnes s’interrogent sur comment rendre cette langue non-sexiste. Il y a beaucoup de propositions, mais pas encore de choix établi.

Le français (la langue) est dit discriminant, par exemple lorsqu’il accorde un adjectif au masculin pluriel dès qu’il y a un élément masculin dans un groupe comme « L’homme et les 99 femmes sont beaux ». Une proposition de réforme du français est d’accorder avec le nom le plus proche. C’est la règle de proximité (et c’était comme ça il y a quelques siècles en ancien français). Ce qui donnerait « L’homme et les 99 femmes sont belles » ou « Les 99 femmes et l’homme sont beaux » selon le nom le plus proche de l’adjectif.

En espéranto les noms en eux-mêmes sont non-genrés (ni masculin, ni féminin) et il n’y a pas d’accord à faire de ce type. « La table blanche et le piano blanc » peut se traduire par « La tablo blanka kaj la piano blanka ». Par contre ils peuvent se référer à quelqu’un (ou un animal) qui est lui sexué, mais ça ne change pas les accords. « Nigra katino ronronas » signifie « Une chatte noire ronronne »

En esperanto, il y a des problèmes qui ne portent pas sur l’accord de l’adjectif (qui ne marque que le pluriel et non le féminin), mais sur la question du sexe attribué à un nom ou un pronom désignant une personne.

Prenons un nom simple : « la knabo », qui signifie le garçon. En ajoutant le sufixe -in- on obtient le féminin : « la knabino » signifie la fille. C’est là que ça devient embêtant : par le fait qu’il y ait un suffixe pour désigner le sexe féminin, on s’attend à l’existence d’un suffixe pour désigner le sexe masculin, mais il n’en est rien. On peut s’attendre aussi à l’existance d’un neutre, où le sexe est indéterminé (j’ai l’impression que ça se nomme épicène dans ce cas là).

De la même manière les pronoms personnels de la 3è personne sont :

  • li : il (masculin ou indéterminé)
  • ŝi : elle (féminin)
  • ĝi : il neutre pour un objet/animal tel que « la hundo... ĝi estas... » (Le chien... il est...)

On voit aussitôt que « li » est employé pour désigner ce qui est masculin ou indéterminé. Là encore ça pose le problème d’une sorte de prédominance du masculin. Dans « La kuracisto eniras. Li estas granda. » (Le médecin entra. Il est grand). On ne sait normalement pas le sexe du médecin. Pourtant, « li » indique, ou incite à penser que c’est un homme (c’est le même problème en français d’ailleurs).

Pour ces raisons de nombreuses propositions d’espérantistes visent à trouver des solutions à ces 2 problèmes. Aucune n’a encore été validée et c’est peut être ça le plus embêtant : chaque solution risque de vivre sa propre vie, mélangée aux autres simplement parce qu’une n’a pas été retenue et validée.

Voyons un peu les propositions faites.

Des explications complètes sont disponibles en anglais là

Pour le masculin et neutre des noms

Il faut savoir qu’il existe déjà un préfixe (vir-) pour désigner le « mâle » chez les animaux, par exemple « virbovo » pour taureau. Le préfixe vir- et le suffixe -in- comme la plupart en espéranto peuvent être utilisés seuls : viro = de sexe masculin, ino = de sexe féminin. On voit déjà encore un autre problème : parfois il y a vir- pour spécifier le masculin, dès fois pas (on ne dit pas « virpatro » ou « virkuracisto » pour dire le père ou le médecin homme). Et ce n’est pas symétrique, il y a un suffixe et un préfixe.

Il semble qu’il y ait un certain consensus pour proposer un suffixe en plus indiquant le sexe masculin, et à rendre non sexué les mots qui le sont par défaut tel que « patro » (père), « knabo » (garçon).

Les suffixes proposés sont -un-, -ol- et -iĉ-, et c’est ce dernier le plus utilisé actuellement à cette fin. De la sorte, avec cette modification introduisant -iĉ- comme suffixe de masculin, on obtiendrait :

  • patro : un parent (père ou mère)
  • patrino : mère
  • patriĉo : père

En fait, -iĉ- est employé parce qu’il se rapproche du suffixe déjà existant exprimant une relation tendre -ĉj- (comme il y a -nj- pour le féminin) :

  • patrino : mère. panjo : maman
  • patro : père. paĉjo : papa

Pour les pronoms

Le cas des pronoms semble poser beaucoup plus de difficultés. Certains veulent complêtement enlever le genre, par exemple en indiquant que « li » peut signifier soit masculin, soit féminin et en supprimant ŝi. D’autres préfèrent ajouter un autre pronom soit pour désigner le sexe indéfini (li devenant alors masculin), soit pour désigner le masculin (li devenant alors de sexe indéfini).

Il n’est pas facile de faire le tri de toutes les propositions. Je retiens que « ri » ne va pas en tant que pronom à cause de la confusion avec tous les verbes commençant par « ri » tel que « rigardi »

Après, j’aime bien la proposition de dire que « ĝi » désigne, en plus du neutre et d’un animal, quelqu’un de sexe indéterminé. « ŝli », contraction de « ŝi aŭ li » (elle ou il) est aussi intéressant mais plus difficile à prononcer (chli). Il y a aussi « gi » qui ferait tout autant l’affaire. Pas simple.

En résumé

Disons que lorsque je saurais l’écrire et le parler correctement, j’utiliserais vraissemblablement les formes suivantes :

  • -iĉ- pour les noms désignant des individus masculins. « patro » devenant un parent dont on ne précise pas le sexe, soit parce qu’on ne le connait pas, n’est pas important, ne veut pas le dire ou parce qu’il est déjà connu dans la phrase,
  • gi comme pronom indiquant une personne dont, de la même manière, on ne connait pas le sexe (ou ce n’est pas important, ou on veut pas le dire...)

Ça donnerait. Avant :

La patrino salutas min. Ŝi ridetas.
La patro iras hejmen. Li piediras.
Iu krias mian nomon. Li estas forega.

Après :

La patrino salutas min. Ŝi ridetas.
La patriĉo iras hejmen. Li piediras.
Iu krias mian nomon. Gi estas forega.

Ce qui peut se traduire par :

La mère me salue. Elle sourit.
Le père se dirige chez lui. Il est à pied.
Quelqu’un crie mon nom. Il est très loin.

Peut être que d’ici là une petite réforme de l’esperanto aura eu lieu :)