Angleterre - juin 2006 Souvenirs des journées du voyage

, par Matthieu Marcillaud

45 élèves de quatrième, 4 accompagnateurs (dont je fais partie), une semaine en Angleterre et des choses anecdotiques à raconter.

Lundi matin

Le pont se mit à vibrer. Le quai s’éloignait. Notre ferry partait de Calais. Il était trois heures du matin et une nuit noire entourait le bateau. Un somptueux bateau qui brillait de tout feux. Petit palace sur mer. Nous n’avions pas encore dormi et cherchions à sortir nous réveiller. Seule la proue permettait une excursion sur le ponton. Il faisait froid, mais pas trop. Les lumières des côtes françaises se déplaçaient par la volonté d’un demi-tour du paquebot. Puis elles s’éloignèrent. Puis elles disparurent. Le bateau filait à 34Kn (mais quelle est donc cette unité ? [1]).

Sur le ponton : le vent. Agréable mais violent ; décoiffant ; un peu humide. Il fouette le visage comme une tempête. Les joues vibrent, les yeux pleurent, l’air s’engouffre dans les pulls, des foulards claquent comme des drapeaux. Quel bien être !

Sur le sol : de l’eau. De petites vaguelettes viennent lécher les chaussures, parfois les mouiller. On s’accroche à la rambarde. Vingt mètres plus bas : la mer. Elle défile à toute allure. Au bord de la coque : l’écume ; blanche, mousseuse à souhait, onctueuse, tourbillonnante ; crémeuse et dangereuse à la fois. A côté, quelques reflets sombres des soubresauts de l’eau. Plus loin : le noir ; profond. Au dessus : des nuages... un tapis de nuages.

Puis quittant le vent, sa douceur et sa violence, nous rentrons au chaud, dans le bateau puis le bus, affronter les basses températures de notre destination.

Lundi après-midi

Ce ne sont ni les Collèges (universités), ni la verdure qui m’a le plus séduit ; ni même ces étudiants en costumes bravant leurs examens, ni les confettis, ballons et farine décorant les cheveux de ceux qui venaient de les terminer.

J’ai cru pendant la plus grande partie de la journée que je ne retiendrais que cette folle présence des vélos dans Oxford. Ils sont partout dans cette ville plane, par milliers, plus souvent garés que chevauchés d’ailleurs. Je rêvais d’un Angoulême comme cela.

Mais ce sera une petite rue que je garderais en souvenir. Elle partait en face d’un grand collège et rejoignait le centre ville. Elle défiait les temps. Des vieilles maisons, des pavés, de la hauteur, mais exigu. On pourrait y tourner un film historique daté de deux siècles sans rien changer au décor. Un charme fascinant, comme une téléportation dans les temps passés tout en marchant, en visiteur flânant dans les âges entre les façades en pierres et celles à colombages.

Vint à un moment la fin de la ruelle et une tristesse : j’ai pris un coup de vieux en redécouvrant des voitures.

Mardi

La maison a traversé les temps et les âges. Elle est allongée, rectangulaire, mais paraît pourtant toute en rondeur, comme les mouvements souples d’une danse classique. Peut-être que ses courbes sont données par la toiture en chaume ; peut-être cela vient-il du revêtement de chaux claire qui procure une souplesse visuelle au mur ; peut-être est-ce du aux poutres des colombages peu rectilignes ou à ce jardin fleuri agrémentant l’entrée de couleurs vives et de senteurs poivrées. Qui sait ?

Toujours est-il que l’Anne Hathawaiy’s Cottage inspire un sage respect, une union réussie entre la splendeur de la campagne alentour et une construction humaine. Rien de déshonorant ici : ce lieu, d’extérieur est rempli de grâce.
La famille de la femme de Shakespeare avait un goût certain pour l’intégration paysagère. Je pensais, en voyant l’habitation, à ces maisons Hobbit ensevelies paisiblement dans l’herbe dans le Seigneur des Anneaux de Tolkien sans perturber la fragile beauté des lieux.

L’intérieur, quand à lui, est simple, étroit et bas de plafond. Pas de fioritures mobilières. Juste le nécessaire, parfois ingénieux - comme le tourne broche mécanique à remonter comme une pendule dans la cheminée jouxtant le four à pain.

Nous quittons les lieux en traversant un jardin potager et des plantes aromatiques, sans même y goûter, des fois qu’elles eussent été, elles aussi, de l’âge de la maison.

Mercredi

Mercredi, 16h30. Nous sortons de l’enceinte du château de Warwick. Quelques pas dans le parc ; une grille. De part et d’autre de la grille : un muret et une haie dense. Nous ouvrons la grille et passons dans un autre monde.

Ce qui marque, c’est le calme, l’isolement ; une sorte de retraite paisible. Nous sommes dans une roseraie. J’oublie tout. J’avance.
Le lieu est en cuvette et je m’y enfonce à travers la pergola. Ici elles sont blanches, petites, nombreuses, rugueuses, pimentées ; là elles sont légères, rosées, douces et amères ; celles-ci sont orangées, citronnées avec de nombreux pétales ; celles là ont de petits boutons tendres et sucrés, dans les tons beiges. Je m’enivre.

Je les respecte. Comme autant de femmes sensuelles, subtiles et parfumées qui attendent d’être choyées. Pour chacune, j’enveloppe leur corolle de mes deux mains, la fleur caressant mes paumes, mes doigts parcourant leurs pétales pour ressentir leur peau douce.

Je les contemple. Longuement, bercé par les plis de leur robe, par les nuances des tons qu’offre leur danse de couleurs.

Je les envie. Elles parfument les rêves, enivrent de leur fragrance juvéniles, bercent mes narines comme une marée de bonheurs qui vont et viennent à chaque respiration.

Je les écoute. Je tends l’oreille pour percevoir les battements de leur cœur. Celle-ci sont en forme et respirent la vie.

Puis je m’éloigne. Je m’éloigne tristement de ce paradis.
Nous sortons de la roseraie et du pays des roses. Nous rentrons. Je garderais un bon parfum de l’Angleterre.

Jeudi

La garde se relève ; nous quittons le palais de Buckingham pour Saint James’s Park où nous mangeons. Le cœur du parc est traversé par une rivière. Sur les berges des pigeons, des canards, des foulques, des écureuils, quelques moineaux, beaucoup de visiteurs : un jardin à l’anglaise est toujours agréable. Plus curieux : des pélicans. Robe blanche virant au rosé par endroit, long, très long bec, large de deux pouces, légèrement orange, la partie supérieure se terminant par une corne vers le bas.

Ma curiosité naturelle me fait tendre la main vers l’un d’eux. Il ne bouge pas, reste calme.
Je caresse son bec... Il est rugueux.
Je passe mes doigts sur sa poche (sous le bec) : c’est chaud, élastique, souple avec la texture d’un cou d’oiseau pelé...

Un peu gêné, il ouvre son grand bec et j’y passe ma main, sans peur. Il mordille gentiment, sans jamais appuyer très fort sur ma peau. Comme je l’embête plus qu’autre chose, je retire mon bras et caresse ses plumes.

Révélation.
Douceur.
Onctueuse douceur.
Délicieuse douceur.

Mes doigts s’apaisent, glissent sur ce duvet léger et souple. Mon esprit se libère des soucis, se calme, se berce comme s’il flottait sur un nuage ou se reposait en forêt sur un épais tapis de mousses chaudes et parfumées.

Un rêve de quelques plumes.
Quelques plumes de pélican ; à caresser pour s’envoler.

Vendredi

La nuit est sombre sur le parking vide. 16°C au dehors. Un ferry accoste à Douvre. Presque aussitôt, un balai incessant de camions débarque en file indienne. Puis le bateau se remplit d’autant d’autres camions, inlassablement, avant de repartir. 9800 camions ont transité hier indique une affiche numérique. 8000 bus aussi. Simplement sur ce débarcadère. Puis vint notre tour sur le Césanne.

Nous redescendons après une heure de mer tanguante, de la route et un sommeil incertain. Les mines bouffies, les yeux rouges, les cheveux en pagaille, les lents bâillements, les pas titubants, les mauvaises têtes et mauvaises humeurs des réveils précipités et de la fatigue accumulée, les mots inaudibles ou désarticulés : voilà la descente à Paris accueillis par une petit déjeuner aussi bon que maigre : chocolat au lait, croissant, pain, beurre et confiture - on s’était habitué à bien plus -.

On se réveille, marche quelques pas, taquine son voisin, remonte dans le bus, s’assoit, ferme les yeux, se rendort.

Silence dans le car.
Ca change de l’aller.

Notes

[1Après recherche, Kn est l’abréviation de knot en anglais qui veux dire nœud. Un nœud correspond à 1 mille nautique par heure, soit 1852 mètres par heure